est désormais vigile de parking. Habitué à discuter avec les gens depuis toujours,
il se souvient que c’était mieux avant, que les gens savaient rire. Même les méchants.
“Elle riait comme quelqu’un qui avait sérieusement
réfléchi à la vie et qui avait compris la blague.”
Neil Gaiman, Neverwhere
cet édito DE VIS COMICA
traite d’un humour disparu : la blague
Prêts pour un édito qui parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ? Allez, c’est parti.
Je ne vais pas parler pour cet édito de littérature ou d’écrits humoristiques, mais du premier niveau bien ras-les-pâquerettes de l’humour : la blague. Un matin — il y a longtemps en fait que ça me turlupine — je me suis demandé pourquoi les gens ne racontaient plus de blagues, et moi le premier (je me pose souvent de grandes questions existentielles). Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais les blagues ont disparu : elles avaient leurs émissions de radio (l’acteur et clown humoriste Coluche en diffusait à la radio l’après-midi il y a un siècle ou presque), il y en avait dans les journaux, les magazines, des recueils de blagues paraissaient (au début du Web dans les années 95 -2000 il y eut même des sites qui se sont empressés d’en collecter et publier). On avait toutes et tous plus ou moins un stock de blagues. Lors des dîners qui s’éternisaient, qu’on avait épuisé les sujets de conversation consensuels ou ceux qui fâchent, il pouvait arriver qu’on s’échange quelques blagues entendues à la radio, par un collègue de travail, dans les transports en commun.., et c’était signe qu’il fallait bientôt se barrer de là car cela signifiait qu’on allait commencer à s’emmerder. Il y avait les gros lourds qui en avaient toujours « une nouvelle », et « une bien bonne » à raconter et vous harcelaient jusqu’à ce qu’ils aient vidé leurs blagues à blagues. Il y avait celui qui vous racontait toujours la même, qui ne faisait rire que lui, et vous gloussiez poliment pour ne pas être accusé de briser ce qu’on n’appelait pas encore « le lien social ». Dans le lot de toutes ces blagues, il y avait de tout : de la nulle à la graveleuse, de ce qu’on appellerait aujourd’hui la raciste, machiste, discriminatoire ou non inclusive (et qui l’était), à la très spirituelle ou l’absurde qui tombait à plat ou non. Il y avait en tout cas une particularité : les gens, même le tonton bourré lors du mariage qui foutait la honte, prenaient plaisir à raconter des blagues, à les colporter, à s’en souvenir pour les partager oralement.
Mais désormais, sauf erreur ou aveuglement de ma part, moi qui n’ai guère changé de classe sociale, finalement (*), et qui fréquente et rencontre encore de vrais gens (il en reste pas mal en fait)… je ne connais plus de blague, de nouvelle blague (faute d’être alimenté en nouveautés valables, je tourne sur un petit lot de 3/4 absurdes, mais elles datent de vingt ans), de personnes qui racontent des blagues.
Que s’est-il passé ? Les gens auraient-ils moins d’humour ? Pourquoi ne se transmettent-ils plus de blagues, du moins oralement ?
J’ai cherché vite fait s’il y avait eu des études sur la disparition des blagues, mais je n’ai rien trouvé. J’en suis réduit, seul et angoissé devant mon clavier, à émettre des hypothèses liées à ce monde dans lequel on s’enfonce toujours plus, tous isolés, séparés, individualisés du moins au quotidien à cause du numérique, de l’internet, des réseaux sociaux, des médias accaparants, qui auraient poussé à la disparition orale de la blague comme lien :
• La concurrence des médias : avec l’augmentation de la disponibilité de la télévision, des films, des podcasts, des vidéos sur internet, etc., les gens ont accès à une plus grande variété de contenus rigolards (l’essor des stand ups, youtubeurs, spectacles, sketches… la blague est devenue un objet médiatique, et de marché. Il y a bien parfois des personnages au cinéma qui s’échangent des blagues… Mais l’humour réside alors souvent dans le fait que la plaisanterie tombe à plat). Même sur Linkedin, il y a une sorte de marché du mot qui se veut spirituel afin de s’attirer de l’audience.
• Le changement des modes de vie : Les gens ont de moins en moins de temps libre — c’est l’envahissement du travail sur le temps privé, l’explosion des horaires avec en parallèle et paradoxalement de plus en plus de distractions offertes. On se verrait moins et partageraient moins ?
– L’évolution de l’humour : il est vrai que si on a ôté tout ce qui était raciste, machiste, ou discriminatoire des histoires drôles qui circulaient, le catalogue s’est étréci. Non pas que ces blagues particulières étaient une bonne chose qu’il faudrait regretter, mais cela participait du vivier.
– L’échange ne se fait non plus en direct et par oral, mais avec son smartphone ou son PC sur les forums ou réseaux sociaux… Et ce n’est désormais plus que de la réflexion amusante (les journaux en collectent et publient parfois de ces « lu sur le web »), « de la punchline », du « bon mot ». En essayant d’obtenir une audience plus large l’humour tout-venant aurait-il vu sa transmission privée de pair à pair disparaitre ?
– Enfin, si les cours d’école sont certainement encore sillonnées de blagues de Toto… J’aimerais savoir si la diffusion de blagues chez les gamins s’éteint dès le premier allumage du smartphone (à savoir, neuf ans et 9 mois : c’est l’âge moyen d’acquisition du premier téléphone portable. Aujourd’hui, près d’un enfant sur huit entre 7 et 10 ans est déjà équipé, deux enfants sur 3 dans la tranche d’âge 11 – 14 ans. > source 2020).
Voilà… Je lève courageusement ce grave problème à la face de ce monde exsangue. Je ne suis pas certain d’avoir envie de me retaper le gros lourd avec sa blague sur les bonnes sœurs qui tombent en panne et arrêtent un routier, ou comme l’évoque Woody Allen dans un de ses films « la fameuse blague du nain déguisé en pompe à essence »… mais juste, je note que la biodiversité humoristique me semble avoir perdu une espèce.
Allez, bonne lecture, sans blague !
Francis
(*) quoique la citation de Ken Loach dans une interview au Figaro : « Ce sont les plus pauvres qui ont les meilleures blagues », me suggérerait que j’ai dû changer de classe sociale…
Au sommaire de ce numéro 10 :
fouad laroui, philosophe burlesque – VIE INTERNE DE VIS COMICA – le cadeau aux soutiens – longues brèves vipérines – non-recommandations, mais À VOUS DE VOIR – en ligne : lettres de non-motivation et le rire chez nos amis logiciels – LES COUPURES DE presse de MONSIEUR CLAUDE.
Vous êtes 21 364 895 (+5) à recevoir cette lettre et je vous en remercie. C’est toujours l’équivalent de la population de Montgeron en Essonne ou de Auch dans le Gers (mais il faudrait que j’appelle pour vérifier, ils ont dû avoir des naissances ou des décès depuis le mois dernier). Cela étant, je ne me rends pas bien compte ; il faudrait convertir cela en distances Terre-Lune, ou un truc comme ça. (Vous pouvez vous en désabonner aisément en bas du courriel).
Cacophrénie SCHIzophone
[pré-requis : aimer le burlesque et aussi la prise de tête culturelle ; apprécier les formes littéraires culottées ; aimer détecter les citations ; s’intéresser aux questions de philosophie et de religion ; être Marocain désorienté].
Victor Hugo, Camus, Voltaire, Kafka, Verlaine, Garcia Marquès, Julien Gracq, Rimbaud, Aristote, Descartes, Kant, Brel, Brassens, Ferré, Mallarmé, Marx, Freud, Darwin, Pessoa, Faulkner… et tant et tant d’autres que je n’ai pas reconnus qui surgissent par surprise : que se passe-t-il dans la tête de l’ingénieur Sijilmassi de l’Office des bitumes du Tadla, où tous ces gens déboulent à tout moment ? Décompensation ? Bouffées délirantes ? Schizophrénie ? Personnalités multiples et variées ? … avec une pointe d’écholalie ? Une nouvelle maladie mentale : la compulsion d’incipit ? De la phrasopathie ? De l’allophrasopathie ? Et tout cela accentué par des troubles cacophoniques mêlant l’identité marocaine et celle française, des peurs du mode de vie suédois, des injonctions contradictoires nées de l’opposition entre les consignes gouvernementales et la culture populaire, entre chrétienté et les multiples et labyrinthiques courants de Islam, entre enseignements du colon français et savoirs berbères, entre culture mondialisée de masse et philosophie arabe immémoriale, entre traditions arriérées et objets vulgaires de la modernité, sur un méli-mélo entre arabe littéraire et dialectal, entre graphie occidentale et alphabet arabe… Tout se bouscule : l’histoire de son pays et du monde, la physique, la chimie, le Coran, la médecine, et même « Félix Potin, on y revient ».
J’ai découvert l’existence de l’auteur Fouad Laroui en tombant sur un article universitaire traitant de son humour (> article que voici, accrochez-vous). Les tribulations du dernier Sijilmassi (pitch : un ingénieur connait une sorte d’épiphanie en avion en se demandant ce qu’il fiche là, et pète littéralement les plombs ; ce qui l’emmène très loin et dans des situations délirantes) est un roman complètement fou, qui commence du plus burlesque pour finir en conte théologique et philosophique (avec un humour omniprésent) bien plus profond et riche qu’il n’y paraît de prime abord, confrontant les questions d’identités culturelles et de religion. On songe aux Enfants de minuit de Salman Rushdie pour son incroyable verve et son art de mêler tout et n’importe quoi parfois de façon hilarante ou disproportionnée (un demi chapitre montre un homme choisissant des carottes dans un supermarché, par exemple). Parfois un peu longuet à lire (sur la fin : les questions théologiques), il est remarquable au moins déjà pour un point : sa capacité en intriquant italiques, phrases entre guillemets, parenthèses imbriquées dans des parenthèses… à rendre vivante et hilarante la cacophonie culturelle torrentielle qui hante la tête de Sijilmassi, incarnation extrême du Marocain moderne brusquement déboussolé et perdu entre tout ce que j’ai recensé plus haut.
Un OVNI, une curiosité… un livre surtout qui prouve que l’humour même le plus débridé permet d’aborder des sujets de haute volée. C’est totalement VIS COMICA.
> Un résumé détaillé, des critiques fouillées (très justes) et des extraits ici.
(Cet auteur qui semble avoir une production abondante sera sans doute réexaminé ici).
Les tribulations du dernier Sijilmassi, Fouad Laroui. EAN : 9782260021414 – 342 pages Julliard (21/08/2014)
VIS COMICA : POURQUOI TANT DE RETARD CE MOIS-CI ?
C’est un sujet qui vous a hanté, je le sais : pourquoi VIS COMICA qui devait surgir le 15 février, n’a paru que le 27 ? Pour vous l’expliquer, il faut faire un peu d’histoire : avant, les vieux hors d’âge et tôt cacochymes étaient relégués sur un fauteuil bourré de coussins absorbants près de la cheminée et, de temps en temps, on allait écouter s’ils respiraient encore, observer s’ils avaient fini leur gruau ou on les tâtait précautionneusement du bout des doigts pour ne pas les faire chuter afin de vérifier qu’ils vivaient encore. Ainsi se passait la vie des familles durant des décennies en attendant le jour où le chat pourrait reprendre possession de son fauteuil enfin libéré. Aujourd’hui, les « seniors », voire même les « ultra-seniors » ont des « activités », sont autonomes, terminent les mots fléchés à toute blinde, et surtout : on en remplace aisément des morceaux, ce qui les fait durer plus longtemps. C’est ce qui s’est passé ce mois-ci avec ma vieille mère de 83 ans (et demi). On lui a fourré du titane ou un genre d’acier chirurgical dans la hanche, et le lendemain elle était déjà debout. C’est ainsi le progrès : depuis que l’homme marche sur la lune, les vieux galopent toujours plus longtemps. Toutefois, avant de changer la pièce défectueuse, l’homme de science et de tour de main, le Midas®-Carglass® de l’articulation en une heure, avait exigé tout un tas de contrôles techniques et de certificats d’autres professionnels de la profession, ses confrères et consœurs. L’abondance ahurissante de rendez-vous médicaux ce mois-ci (parfois deux par jour) à cause de mon rôle de taxi filial m’a donc gravement mis en retard dans mes boulots, et donc dans mes lectures, et donc dans la rédaction de VIS COMICA.
Toutefois, à partir du futur numéro 13 (en mai 2023) VIS COMICA passera en bimestriel car il m’est difficile de trouver chaque mois des ouvrages humoristiques à la fois drôles et exigeants, et partant, recommandables. Enfin la rédaction de cette lettre dont l’audience décolle moins vite que mère me prend plus de temps que pour virer une arthrose.
> le cadeau aux soutiens (que les autres devraient lire aussi)
< JOIE ! JOIE ! 1 ebook gratuit ce mois-ci est offert en téléchargement aux soutiens de VIS COMICA : Cabinet-Portrait (prix Médicis 1980), roman aussi hilarant que profond (somme toute) de Jean-Luc Benoziglio au format epub) (> Mais c’est ouf ! Comment font-ils pour avoir de tels privilèges ?)
Résumé de Cabinet-portrait offert aux soutiens : « Un homme solitaire entretient de curieuses relations avec une Encyclopédie en vingt-cinq volumes qu’il a entreposée dans les toilettes communes, à l’étage de l’immeuble dans lequel il vient d’emménager. En ce « havre de paix », il cherche à redonner vie à son passé, s’interroge sur la maladie dont il se croit atteint et les guerres qui déchirent le monde. – Mais bientôt, le temps qu’il passe aux cabinets devient source de quiproquos, et les conflits avec ses voisins de palier vont se multiplier… – Dans cet hymne au dérisoire, sarcastique et désespéré, provocateur, drôle et tendre à la fois, Jean-Luc Benoziglio décortique notre quotidien. »
Ah oui au fait, rappel récurrent : mon dernier roman, auto-édité à la suite d’une souscription réussie il y a des lustres est disponible ici en papier et epub. Mais vous êtes nombreuses et nombreux à le savoir ici.
Les images d’illustrations sont créées par ma pomme avec l’IA Midjourney.
longues brèves vipérines
Guillaume Musso, l’écrivain le plus vendu du monde de France occidentale sous le méridien de Greenwich depuis 2011, fait une pause ! Voilà qui nous fera également des vacances et pourra permettre à ceux qui le suivent derrière de monter d’un cran sans avoir plus de talent. Mais en quoi Musso est-il un sujet de VIS COMICA, lui qui est réputé davantage pour ses romans carminatifs (> chercher ce mot) que pour son humour ? Eh bien si ! Figurez-vous, que grâce à notre jeu gratuit le Mussogolade, il mérite d’être considéré ici ! La règle du jeu est simple : prenez un livre de Musso, ouvrez-le au hasard et lisez-le à voix haute, travaillez bien les dialogues. Effet garanti !
• Aurélie Valognes se trouve 2 fois dans les 10 livres d’occasion les plus vendus en 2022 avec Jonas Jonasson (Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire). Puisque ces deux auteurs de certaines formes de comédies qui leur sont propres peuvent être considérés comme étant humoristiques, c’est une bonne nouvelle pour le genre qui nous occupe. Le problème, c’est qu’il y en a un des deux qui n’est pas drôle — et ce n’est pas Jonas Jonasson dont VIS COMICA parlera un de ces quatre.
• Les lecteurs de Télérama, qui n’ont pas forcément tout le temps mauvais goût en matière de littérature, se pincent toutefois pour rire. Dans leur top 10 2022, soit la liste de leurs romans favoris 2022, du pensum, du générateur de déprime, une véritable bouse bien moulée aussi par la critique (le Despentes), du tout venant contemporain sans grand intérêt, profondeur ou autre… Et, en tout cas, rien d’humoristique. Ce n’est pas sérieux, l’humour, sans doute.
• Le dernier Daniel Pennac dont j’ai dit le plus grand mal dans le numéro précédent de VIS COMICA a priori cartonne de chez cartonne, du moins c’était le cas le 13 janvier. Et pourtant, c’est illisible ! Mais, diantre !, comment se fait-ce ? En fait l’explication serait simple : d’après un expert en livres mauvais qui se vendent beaucoup, figurez-vous qu’il faut que les gens achètent d’abord le livre pour se rendre compte dès le premier chapitre que c’est ni fait ni à faire et qu’on ne les y reprendra plus ! C’est quand même malin, dis donc !
à vous de voir… : Les recommandations auxquelles vous avez échappé ce mois-ci parce quE JE n’ai pas AImé (mais vous aimerez peut-être ?)
Ce sont des livres présentés comme drôles, hilarants, humoristiques, comiques, désopilants, amusant, burlesques, cocasses, grinçants, loufoques, marrants, rigolos, tordant, truculents, bouffons, clownesques, guignolesques, zozos, rigolard, poilants, satiriques, sarcastiques… et a priori ils devraient nous intéresser ici… Mais voilà : cela ne nous suffit pas. On veut du sens, de l’argument, de la qualité, de l’esprit, et pas forcément du gnangnan souriant ou de la vulgarité qui fait office d’humour par provocation. Bref, on a lu ça, voir ci-dessous… Et puis aussi très souvent voudrait-on éviter de lire des livres qui semblent avoir été achetés à l’aveugle entre éditeurs, et ont été traduits et publiés sans que personne de la maison ne sache ce qu’il y a vraiment dedans… Cette liste peut servir à vous guider (les ouvrages humoristiques sont difficiles à repérer), ou, plutôt, à vous méfier… Bref, à vous de voir…
La vie sexuelle des sœurs siamoises – Irvine Welsh – Au Diable Vauvert (2017). Lucy, coach de fitness narcissique, méprise les gros, les faibles, les ratés. Or elle va se trouver mise au défi de transformer Léna, le genre de fille qu’elle n’aurait même jamais pensé croiser. Dans une Floride décadente obsédée par le corps, s’engage entre les deux femmes une amitié ambivalente et extrême qui va les métamorphoser. Irvine Welsh est l’auteur original de Trainspotting. Je n’avais pas supporté le film plus de 10 minutes… Je n’ai pas supporté le roman plus de 50 pages. Sous couvert de critique sociétale, de caricature de l’Amérique, ce n’est qu’une accumulation de provocations bêtes et vulgaires. Ça se veut punk, c’est gras, c’est con. À vous de voir…
Prime time, Jay Martel, Super 8 éditions (2015). « Laissez tomber les blurbs : contentez-vous de lire ce roman hilarant. « Michael Moore. À l’insu de ses habitants, la Terre est depuis des décennies le programme de télé réalité le plus suivi de la galaxie. Tous se régalent depuis longtemps des aventures des Terriens, ces êtres primaires, aussi stupides qu’arrogants, qui, à force de guerres, de pollution, de décisions irrationnelles, s’approchent chaque année un peu plus de l’autodestruction. Leurs aventures sexuelles, religieuses, politiques ont souvent été irrésistibles. Puis, peu à peu, l’audience s’est mise à chuter. Les spectateurs se sont lassés. Inutile d’épiloguer : vous faites partie du spectacle, après tout, vous savez ce qu’il en est. Aussi les producteurs ont-ils décidé d’arrêter les frais. Et ils préparent en secret un dernier épisode destiné à marquer durablement les esprits : la fin du monde, prévue dans trois semaines. Un seul homme, bien malgré lui, va avoir la possibilité de sauver la planète. Scénariste has been un peu déplumé et travaillé par une libido dévorante, Perry Bunt va en effet lever le voile sur la conspiration. Hélas pour nous, il n’a pas grand chose d’un héros ! » J’ai dû rouvrir le livre pour écrire cette notule : je n’en avais plus aucun souvenir tant je me suis ennuyé. C’est digne d’un roman de SF écrit par un adolescent débutant. Dans tout roman, même le plus improbable qui se déroule dans l’univers le plus fou, il s’agit d’obtenir la fameuse « suspension d’incrédulité » du lecteur, et ensuite, il est prêt à tout avaler, que ce soient des Men in black comme les envahisseurs irritants de Martiens go home ! de Frédric Brown... Mais là, l’adhésion du lecteur ne prend même pas. On lit ça en ayant l’impression de l’extérieur que l’auteur est seul à s’amuser de son histoire gesticulante. À vous de voir...
Les 4 enquêtrices de la supérette Gwangseon – Gunwoo Jeon – Gallimard (Janvier 2023). « Quand quatre femmes exaspérées par un exhibitionniste prennent les choses en main. Dans une supérette de quartier, quatre femmes se retrouvent pour de petits travaux et de bons après-midi de papotages. Elles ont respectivement dans les 20, 30, 40 et 60 ans environ. Toutes s’ennuient auprès de maris qui rivalisent de paresse et de machisme. Alors quand un exhibitionniste sévit dans le quartier, elles décident d’enquêter pour le faire arrêter. Et y parviennent. Peu après, dans leur résidence composée d’une dizaine d’immeubles, un serial killer vient de reprendre ses activités criminelles après quelques années de pause. Sa spécialité : laisser près du corps de ses victimes sans tête un badge « smiley ». Ensemble, pour gagner la prime qui paiera le divorce de l’une d’elles, bravant mille dangers, les quatre Sherlock Holmes de la supérette vont se lancer sur les trousses de l’assassin. Un roman sinistre et drôle, cruel et savoureux, avec quatre héroïnes inoubliables. Eh bien si, elles sont oubliables, et très vite même. Il y a soit un problème de traduction pâteuse, soit il faut s’acculturer au style de narration, sinon à l’humour coréens. Impression de lire un roman écrit sur Wattpad par un adolescent.. À vous de voir…
Le syndrome du canal carpien – John Boyne – Lattès (2022). « Quelle invention merveilleuse que le téléphone portable : 188 grammes de métal, de verre et de plastique enveloppés dans un écrin brillant aux lignes pures, à la fois porte ouverte sur d’autres mondes et arme perfide entre les mains des imprudents. Les Cleverley sont britanniques, célèbres et riches. Ils n’ont aucune conscience de la fragilité de leurs privilèges, alors qu’ils ne sont qu’à un tweet du désastre. George, le père, est un animateur de télévision, – un trésor national (selon sa propre expression) –, sa femme Beverley, une romancière reconnue (pas autant qu’elle ne le souhaiterait), et les enfants, Nelson, Elizabeth et Achille, frôlent tous d’inéluctables catastrophes. Ensemble, ils découvrent les affres de la vie moderne, où les réputations sont détruites en un clin d’œil, et ils apprennent combien le monde se révèle impitoyable lorsque l’on s’écarte du chemin tout tracé. Avec l’humour unique qui le caractérise, John Boyne dresse un portrait irrésistible de notre époque et de ses travers. » Euh… Pffff. Que dire ? C’est une comédie familiale aristocratique, britannique et guindée, qui aurait été écrite par « l’un des plus grands écrivains de sa génération » d’après The Observer (!), mais qui fait penser à ces films doublés de l’après-midi à la télévision qu’on regarde en EHPAD pour mieux dormir avec le bruit de fond des dialogues. À vous de voir…
Rien de sérieux – Naoise Dolan – Ed. 10-18 (2022). « AVA 22 ans, mal dans sa peau, récemment installée à Hong Kong enseigne la grammaire anglaise à de riches écoliers pour un salaire de misère, a un fort accent irlandais et déteste ses colocataires. JULIAN Banquier. Anglais. Cynique. Aime plutôt bien Ava, la couvre de cadeaux et lui propose très vite de s’installer dans la chambre d’amis de son luxueux appartement de fonction. EDITH Ambitieuse et brillante Avocate. Rencontre Ava alors que Julian est à l’étranger. Et c’est là que tout devient plus excitant… D’une plume aussi alerte que sincère, Naoise Dolan, en véritable témoin de son temps, nous parle de conscience de classe, de pouvoir, du rapport à l’argent et de la difficulté d’aimer à une époque où l’on s’expose pour mieux se cacher. Un premier roman décapant, qui explore avec brio et humour les lois complexes de l’attraction chez la génération Y. « Une comédie hilarante, mordante, féministe, marxiste et vraiment méchante », Zadie Smith. « J’ai littéralement dévoré Rien de sérieux, une histoire d’amour contemporaine pleine d’esprit », David Nicholls « Amusant, malin et audacieux – un combo gagnant », Hilary Mantel ». Eh bien non : ça commence bien sur les promesses en effet de cette 4e de couverture — le personnage féminin semble délicieusement caractérisée dans le mode moderne/autonome à qui on ne la fait pas… Et ça dérive en bouillie de « chick-litt ». Je porte plainte contre Zadie Smith, Hilary Mantel et David Nicholls pour recommandations fallacieuses. Très décevant. À vous de voir…
Presque génial – Benedict Wells – Le livre de poche (2022). « Un road trip pas comme les autres ! Francis, dix-sept ans, vit avec sa mère dans un trailer park, à Claymont, New Jersey. Lorsqu’il apprend qu’il est le fils d’un donneur anonyme sélectionné pour son QI, Francis se met en tête de retrouver son géniteur. Il entraîne dans son road trip son meilleur ami, le geek Grover, et la mystérieuse Anne-May, dont il vient de tomber amoureux. Un roman qui vous fera voyager sur les routes des État-Unis. À PROPOS DE L’AUTEUR : Traduit dans 34 langues, Benedict Wells est l’auteur de cinq romans dont La Fin de la solitude. » Pareil, j’ai dû rouvrir le livre pour me souvenir : ah oui, c’est un roman d’aventure gentillet et plan-plan pour collégiens ? Non ? Ah bon, pardon. (Le personnage s’appelle Francis, comme moi. Agaçant, ça, en revanche). À vous de voir…
des trucs EN LIGNE pour perdre du temps
< Cet article paru dans le Monde Diplomatique de janvier dernier m’a rappelé les formidables Lettres de non-motivation de Julien Prévieux, indémodables, indépassables, et régulièrement rééditées (cette fois encore donc), lorsqu’elles ne sont pas jouées au théâtre ou exposées.
Une idée tellement belle qu’elle rendrait jaloux de ne pas l’avoir eue soi-même. Julien Prévieux qui fait l’artiste avec un grand talent depuis leur rédaction (il n’a donc pas décroché le pauvre de burn, bore ou bullshit job) en publie une sélection sur son site web officiel. > C’est là, et c’est à lire, sinon à utiliser en atelier d’écriture rigolard et énervé.
Le scan ci-contre de l’article est de travers : je sais, je sais. Notez que lorsque j’ai lu l’article je tenais moi-même le journal de travers : vous êtes donc en mode « restitution réelle du moment de découverte de l’article ». C’est ça aussi l’expérience VIS COMICA.
Le mois dernier je vous ai parlé de ChatGpt (le logiciel dit « Intelligence Artificielle », mais qui n’est qu’un générateur de langage) et de sa conception de l’humour, et aussi du chercheur et écrivain François Houste qui avait eu une discussion intéressante avec lui en lui demandant ce qui est vert et pousse au fond du jardin (trop tard si vous avez loupé ça : seuls les soutiens ont accès aux archives de VIS COMICA).
Le même François Houste tient une newsletter de veille sur ces sujets d’I.A. La dernière parue évoque encore une fois la problématique du rire et des intelligences artificielles. Il est fort probable que l’humour reste une spécificité humaine (Quand on vous dit que VIS COMICA est le dernier bastion dans ce monde techniciste et mécanisé !)
> C’est à lire ici et on peut aussi s’abonner à cette excellente lettre gratuite.
les coupures de Claude
Claude H. amateur très très éclairé de littérature humoristique (et quand on est très très éclairé, on n’est pas si facilement ébloui), grand lecteur, soutien de la newsletter VIS COMICA, et correspondant officiel d’icelle pour la Belgique nous a envoyé ce mois-ci deux coupures de presse qu’il a repérées traitant de cette littérature si rare et si chère à nos petits cœurs.
• Un portrait de Virginie Vernay dans L’Humanité du 19 janvier, qui s’attache à faire rééditer l’œuvre de François Cavanna et on y apprend nombre de choses dont la sortie d’un recueil de nécros chez les indispensables Wombat éditions (cliquer pour afficher en grand – escape pour replier, > télécharger ici) :
• Et une coupure de presse enthousiaste issu de je ne sais où, sur le dernier Vincent Ravalec. Ravalec, c’est comme Mizio — Mizio, c’est moi (*) —, tout le monde l’a oublié, on pense même qu’il est mort, et pourtant il bouge encore. Il sort un bouquin sur le fait de vieillir. C’est d’époque — ou plutôt, de la nôtre (à nous deux, du moins). Comme avec Ravalec, il peut y avoir il y a du bon, du beau, mais aussi du bonnet (il a pondu par exemple un bouquin sur ses expériences à l’ayahuasca qui était plutôt… déconcertant, dira-t-on pour euphémiser), on examinera la chose et on en reparlera (cliquer pour afficher en grand – escape pour replier > télécharger ici) : :
(*) J’ai commencé à écrire presque en même temps que Ravalec (c’est vieux, donc !) et à l’époque, un jour, une journaliste nantie d’une copine très impressionnée croisée lors d’un concert d’Arthur H. a commencé à m’interroger, et devant mes réponses qui la déconcertaient, s’est aperçu soudain que je n’étais pas le Vincent Ravalec qu’elle pensait. Disparue, confuse en quelques secondes avec son amie qu’elle n’avait donc pas épatée, elle est réapparue un an ou deux plus tard pour me faire une critique dithyrambique d’un de mes romans qui venait de sortir, afin, sans doute, de se faire pardonner. Ce qui est dommage, c’est que c’était dans un des derniers numéros d’une revue qui courait à la faillite.
c’est pas drôle : c’est fini
Rendez-vous le 25 mars pour d’autres nouveautés, du classique, de la vieillerie, des trucs en ligne, etc. En attendant vous pouvez toujours écouter mes podcasts : > ici « Le Documenteur » et > là « Mais de quoi tu me parles ? » (je ferai de nouveaux épisodes un de ces quatre, promis) ou acquérir mon dernier roman (si ce n’est déjà fait). Vous pouvez aussi chercher l’inspiration lecture avec le PENSE-BÊTE / LA BANDE-ANNONCE DE VIS COMICA (les auteurs dont je parlerai, je ne parlerai pas, j’ai déjà parlé, que vous pouvez d’ailleurs alimenter > en m’en suggérant pour enfin une tentative d’élaboration d’une bibliothèque de l’humour en littérature. > N’hésitez pas à me faire remonter vos remarques et suggestions. >>> Abonnez-vous à VIS COMICA c’est gratuit, faites abonner les âmes perdues en expliquant (et partageant ce numéro) que c’est gratuit, voire soutenez (*) VIS COMICA ! À bientôt.
(*) Cela veut dire des cadeaux (ebooks), des trucs que je ne sais toujours pas encore quoi, l’accès à un forum pour tchatcher et se refiler des plans lectures, etc.
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