Reproduction ci-dessous d’un article d’Éric Neuhoff (attrapée au vol par notre honorable correspondant Claude H), puis en dessous encore, l’avis de VIS COMICA (bien plus mitigé) qui a lu, évidemment, l’ouvrage cet été.
Je vais m’appuyer sur l’article, poli et convenu ci-dessous qui ne dit aucune contre-vérité, se contentant de reprendre sans doute les éléments de langage du dossier de presse. Il est vrai qu’on n’égratigne pas un monument. C’est tout le problème de la critique culturelle aujourd’hui.
Un jour j’ai demandé par curiosité à Chatgpt+ (la version payante qui fouille sur le web et prétend un jour remplacer Google), de me faire le point sur la littérature humoristique. Si cette grosse calculette est loin d’être une experte dans le genre, elle est en tout cas un excellent indicateur de ce qui se dit sans doute le plus sur Internet. Sur les « époques et auteurs notables » de la littérature humoristique, Chatgpt+ me dit ceci :
Époques et Auteurs Notables :
Ancienne : Aristophane (comédie grecque), Plaute et Térence (comédie romaine).
Moyen Âge et Renaissance : François Rabelais, Erasme.
Modernité : Molière, Voltaire (satire), Oscar Wilde, Mark Twain.
Contemporaine : P.G. Wodehouse, Douglas Adams, Terry Pratchett.
Et c’est bien là le signe du talent de P.G Wodehouse à travers le temps : être parvenu, comme à son époque, à faire croire qu’il était parmi des plus spirituels, sinon un des plus grands. Et cela, dans « Hello, Plum! » se repère aujourd’hui, dirait-on, cruellement.
Oui, l’auteur des « Jeeves » est assurément très drôle. Pour peu qu’on aime la comédie britannique compassée et aristocratique (clin d’œil à Tom Sharpe), on se régalera. Mais voilà : si ces fausses mémoires (qui ne sont que digressions, évitements, anecdotes fanées, perfidies balancées tous azimuts) de Wodehouse sont drôles, elles ne le sont hélas qu’un moment; Passée une première moitié de l’ouvrage, il finit par se dégager quelque parfum vieilli et navrant : une fausse modestie exacerbée, une véritable auto-complaisance servie avec une auto-dérision très maîtrisée, mais de façade (Wodehouse très intelligent sait manier à la perfection les registres de l’humour ; il sait que l’auto-dérision est un marqueur élevé d’intelligence, et mieux, d’esprit, qu’il convient de distiller en permanence) et comme le temps a passé, que bien des vanités ont été oubliées ou sont devenues totalement inconnues, des traits sur tel ou telle qui devaient être hilarants n’apparaissent plus qu’en squelettes, en procédés : ceux de ragots, de « gossips » désuets. Si on ne veut pas entacher l’image que l’on a de Wodehouse dont le système se révèle dans cet ouvrage, mais qui n’en reste pas moins un grand écrivain humoristique respectable, il convient peut-être de ne goûter « Hello, Plum! » que par partie, en picorant.
En matière d’humour, le temps est redoutable. Bien des écrits sérieux deviennent comiques, et bien des écrits comiques deviennent ennuyeux. Il n’est pas certain que l’aura de Wodehouse, malgré l’abondance de son œuvre pluridisciplinaire — aura qu’il a su si bien se créer en son temps au point qu’elle perdure — résiste au flou de la mémoire, de la petite histoire. Rares sont ceux qui surnagent passés quelques décennies. Ils deviennent des classiques, mais pour en apprécier les épices, il convient d’étudier la recette en laboratoire, de re-contextualiser. De faire un boulot d’universitaire et de notes de bas de page. Car la spontanéité du style et la proximité de la référence, qui participe du comique de connivence alors disparaît (lisez Tristram Shandyde Laurence Sterne aujourd’hui et vous me direz si vous vous tapez sur les cuisses) et ne reste parfois plus que les combines. et l’auto-satisfaction de l’auteur.
Rares sont ceux qui perdurent, qui ne se fanent pas sous les assauts du temps, dis-je, mais pourtant il y en a de nombreux : Benchley, Fields, Bierce, Twain… J’en passe. Wodehouse, je le crains, ne survivra pas. J’en veux pour preuve que, coïncidence cruelle j’ai lu un peu auparavant « Profession fripouille », les mémoires de l’acteur George Sanders (chroniquées dans la newsletter n°12) qui s’est livré avec la même posture, la même approche, au même exercice d’évitement, de digressions, de considérations sur le monde et d’auto analyse de ses propres défauts et vices assumés… mais avec un génie humoristique bien plus puissant, avec bien plus de culture (désolé P.G) ; talent désinvolte qui restera, lui, intemporel. Et puis Sanders nous parle de gloires dont le souvenir a pour elle aussi survécu. Désolé, encore P.G., mais il va falloir demander à Jeeves de te préparer ta chambre de cabotin. Tu parles de trop, et de trop de gens oubliés. Un peu ça va, puis tu nous saoules.