Le talent de Pascal Fioretto et sa production sont carrément insolents. Romans, pastiches, articles, nouvelles, recueils… C’est à jet continu que cet homme à l’humour extrêmement aiguisé dispense ses avis sur tout et sous des formes stylistiques aussi diverses qu’élaborées… avec une justesse de vue et de ton proprement et quasiment toujours épatante. « Le Petit Abécédaire de l’Apocalypse heureuse », sorti en mai 2023, est un feu d’artifice. Voici sa présentation :
« Je suis éco-anxieux mais je me soigne. »
On connaît le refrain : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs… ».
Et si nous avions raison de ne pas sombrer dans la neurasthénie catastrophiste? Car pendant le Grand Effondrement, le Progrès continue et les raisons de se réjouir se multiplient : la frugalité est plus joyeuse, les genres plus fluides, la réalité plus virtuelle, l’écriture plus inclusive, l’intelligence plus artificielle…
Alors ne boudons pas notre plaisir : vive la fin des temps et bienvenue du côté lumineux de l’Apocalypse !
De A comme « AirBnB » à Z comme « Zéro déchet » en passant par M comme « Métavers » et S comme « Survivre », Pascal Fioretto, écrivain, humoriste et pasticheur, propose un désopilant inventaire de cette fin du monde qui n’en finit pas et de ce futur qui jamais été aussi proche.
Les charges sont acérées et le traitement de chaque sujet, qui paraît parfois exhaustif (le compte est réglé chaque fois en peu de pages…) est impitoyablement précis, et impitoyablement drôle. Ce qui fascine, chez Fioretto, c’est sa capacité à ingurgiter et retraduire, remettre en scène quantité de caractères, de domaines, de milieux, de jargon, de savoirs. Mais comment sait-il cela aussi ?, se dit-on souvent si l’on est soi-même sachant du sujet traité ou immergé dans un milieu social précis, dans telle type d’entreprise, dans telle prise de tête du moment… Comment fait-il pour capter aussi bien, sinon l’air du temps et sa bêtise, pour attraper aussi bien les mots si usés, détournés par la stupidité et l’absurdité de l’époque dans leur polysémie, leurs sous-entendus, leur tonalité ; mots explosifs ou fourbes dont la nature n’est perceptible que si on les pratique ou subit soi-même ? On en est à estimer, au détour de quelques termes dans une phrase a priori anodine que ce n’est pas possible, que tout le monde, — quand le propos est à de tels niveaux divers de lecture et de proximité, d’implicite ou de connivence — ne pourra apprécier la totalité du sel.
C’est plus que brillant (ici rajouter : —issime).
Je n’ai connu dans ma folle jeunesse avec fascination dans ce genre qu’un chroniqueur sociologue, qui écrivait jadis dans les pages du Nouvel Obs : Alain Schiffres. Lui aussi atteignait cette hauteur d’esprit, de sagacité, de force dans la satire et de puissance dans l’extraction du jus humoristique que peut parfois receler un simple terme. Je me demande si Fioretto ne dépasse pas Schiffres qui m’a pourtant été un modèle. En fait, si : je crois qu’avec cet Abécédaire… c’est le cas.
Respect absolu, Monsieur Fioretto.