VIS COMICA qui a beaucoup de mal à supporter les humoristes surabondants à la radio, et entre autres ceux de l’émission de l’exaspérante et pas drôle Charline Vanhoenacker sur France Inter, a voulu savoir ce qu’avait dans le ventre un des employés maison en général assez laborieux (dans l’exercice, quotidien il est vrai), Guillaume Meurice. D’où la lecture de son opus au titre, il est vrai alléchant : Petit éloge de la médiocrité dont voici la présentation : « Médiocre : de qualité moyenne, qui tient le milieu entre le grand et le petit. La normalité, version péjorative, avec un arrière-goût de nullité. Chez Guillaume Meurice, la médiocrité, ça remonte à loin. Dès l’école, il considère 10/20 comme la note parfaite, le « juste ce qu’il faut » qui a la poésie et la fragilité d’une barre effleurée par un sauteur en hauteur. Depuis, il s’est rendu compte qu’il n’y a rien de plus émancipateur que la médiocrité : elle permet de faire ce qui vous plaît, pour le simple plaisir de le faire, pour la beauté du geste. Elle est un refus de la hiérarchie et un pied-de-nez à la quête de la performance. Avec ce Petit éloge de la médiocrité, Guillaume Meurice n’a jamais si bien maîtrisé son sujet. »
Force est de reconnaître que ce coup de gueule anarcho-nihiliste anti capitalisme mortifère / société du bonheur et de la performance désespéré (c’est un humoriste, forcément) est brillant. D’un point de vue VIS COMICA, on trouvera une vanne ou une métaphore, parfois très bien sentie il est vraie (mieux qu’à la radio) tous les 2-3 paragraphes qui fait le job, et c’est tout, mais finalement, peu importe. On n’est pas là pour calculer le taux de saturation d’humour précipité dans la bile, mais pour essayer d’évaluer ce qu’un humoriste-écrivain (à la plume de belle tenue) a dans le ventre. Peu importe, d’autant que l’essentiel du livre est très sérieux et ne prend pas le lecteur pour un con, somme toute, convoquant bien des références culturelles (qui ne sont pas des clichés, ou alors s’ils le sont, sont alors dépoussiérés ou revisités) et s’aventurant avec un certain brio sur des points qui effleurent la philosophie, voire l’infini et au-delà (Buzz l’Éclair est d’ailleurs cité) de la métaphysique.
Tout part d’un mail où on l’accuse d’être médiocre, et Guillaume Meurice semble soudain déborder d’une envie de déballer tout ce qui le constitue (en ce sens, il rappelle un essai défoulatoire de Denis Robert — le journaliste de l’affaire Clearstream — dans son ouvrage coup de gueule (non humoristique) qui semblait avoir été écrit en une nuit il y a plus de 20 ans, Révolte.com — Paris, Les Arènes, 2000, ISBN 2-912485-11-8 — à la suite d’une phrase anodine que lui avait dit un crétin croisé dans une allée du Salon du Livre de Paris).
Les propos de Meurice sont d’une acuité (une lucidité, appelle-t-il de ses vœux) sans faille, et auxquels on adhère sans réserve. On lui accordera aussi une certaine mauvaise foi réjouissante (*). Bref, l’ouvrage est fort recommandable. On ne lui attribuera pas cette fois de comicoscore VIS COMICA (voir les critères en page d’accueil colonne de droite), même si le ton se veut sérieux/satirique, pour 2 raisons :
1 – car il est plus sérieux que satirique, on l’a dit. Il est grave, là, le clown. C’est d’ailleurs même à cela qu’on les reconnaît.
2 – car il écrit ceci : « Il y a quelques années, une émission de télévision avait eu l’idée funeste de noter des humoristes. Chacun devait faire un sketch et subissait le verdict d’un jury et du public. Un programme problématique à plus d’un titre. Outre que l’humour est affaire d’élève du fond de classe qui lance des boulettes de papier en se moquant de l’autorité, quel sens peut-il y avoir à donner une note à des blagues ? Si ce n’est cette éternelle volonté de classer, hiérarchiser, faire croire à certaines personnes qu’elles sont moins médiocres que d’autres. Idée stupide en général, et dans le monde de l’humour en particulier. Car pour savoir si un humoriste est drôle, il suffit d’écouter si le public rit. C’est un des rares domaines où les relations et les connaissances bien placées jouent peu. »
Et donc, dont acte, on ne notera résolument pas son ouvrage au comicoscore VIS COMICA. Cela étant, un sujet est inabordé ou évité dans son livre : peut-on être médiocre et pour autant devoir se contenter de la médiocrité ?
Enfin, une blague comme on les aime (là, c’est mon paragraphe egotrip) : « Quelle différence entre un guitariste de jazz et un guitariste de rock ? Réponse : un guitariste jazz joue 3 000 accords devant 3 personnes tandis qu’un guitariste rock joue 3 accords devant 3 000 personnes. ». Blague qui me rassure quant à mon propre apport à la littérature humoristique, même si j’en étais déjà arrivé par introspection proactive à cette conclusion depuis un moment et avait donc établi pour mon propre nombril ce qu’il dit plus loin : « Donc tu peux toujours te faire croire que le peu d’intérêt des autres pour ton travail est le signe d’une supériorité artistique, mais nous, nous savons. Nous savons que tu es un médiocre parmi d’autres. Que tu es un médiocre parmi nous. Que tu es comme tout le monde ».
À lire, car, comme à dit l’écrivain traducteur Michel Lebrun, « Il faut prendre les comiques au sérieux ». Guillaume Meurice – EAN : 9791025205785 – 160 pages – LES PEREGRINES (03/02/2023)
(*) Par exemple, avec des contradictions. S’opposant, pour faire court, aux discours de performatifs aliénants et destructeurs du « système » et du storytelling culturel, industriel et sociétal, il écrit : « Aujourd’hui, alors que la fin est proche pour l’espèce humaine, sa seule solution de survie semble être d’arrêter de polluer son imaginaire et d’écrire un autre récit, avec moins de héros solitaires et plus de zéros solidaires. Parce que, parfois, faut arrêter de raconter des histoires… » Eh bien, là, il appelle — pardon — pour substituer un récit, encore à un autre récit… en dénonçant le fait qu’on nous assène du récit dont il faudrait se départir. Mais on chipote. C’est pas clair. Paragraphe à revoir, m’sieur Meurice.