[Oldies] « Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer », de Dany Laferrière

C’est à l’occasion de l’invitation récente du Québec lors du salon du livre, et après avoir écouté sur France Culture une interview de Dany Laferrière écrivain  brillant, à l’existence parfois peu commune, aux propos toujours décalés, édifiants et décapants, et en outre très drôles — que m’est venue l’envie de relire Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, son premier roman paru en 1985, dont je n’avais plus grand souvenir.
L’ouvrage provocateur et hilare, roman d’un roman en train de s’écrire, auto-référent, catalogue de fantasmes mêlant réel et fiction et de propos corrosifs sur la situation de l’homme noir (notamment sa sexualité, les fantasmes des Blancs sur celle-ci), empreint de jazz et de références littéraires, ouvertement revendiqué sous le modèle bohème d’Henri Miller (on pense au Tropique du Capricorne) et de Charles Bukovski, fit scandale, fut même censuré ou publié sous un titre jugé plus inoffensif. Le relire à 30 ans de distance lui ajoute une couche supplémentaire d’humour (certes, particulier), et l’argument n’ayant rien perdu de sa provocation et de son actualité (ce qui au passage continue de donner à réfléchir sur les questions qu’il soulève à l’époque), on le savoure d’autant plus. Étonnant écrit, geste d’un culot monstre (un « Nègre » s’appropriant le registre d’Henri Miller) qui ne prend donc pas une ride, et dont on perçoit toujours plus le brio d’écriture qui en a fait d’emblée un classique beat tardif (sans relever pour autant de la Blaxploitation).
À noter qu’en toute fin et en outre, avec le recul, la prophétie qu’il affiche dans ses simulacres d’interviews (l’écrivain/alter ego du roman imagine le succès futur du livre qu’il est en train d’écrire), est devenue depuis auto-réalisatrice : oui, le roman s’est par la suite arraché dans le monde entier ; oui, il a décidé du lancement de carrière de Laferrière… qui est, comme chacun sait, depuis  devenu académicien français ! Impeccable prouesse, épatante énergie de vie et d’humour, et preuve immarcescible d’un esprit qui a su tordre le réel.

> Une autre interview ici.